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Galdasten, royaume d’Eibithar

 

 

 

C’était un siège sans effusion de sang, une guerre sans combat, en tout cas pour les habitants de Galdasten. Les morts étaient pourtant nombreux. Des cadavres boursouflés et putrides venaient encore s’échouer sur les côtes. Leurs uniformes pourpre et or les désignaient tous comme des combattants d’Eibithar. Car si l’armée de Braedon avait sorti les siens des flots après la bataille navale et le départ de la flotte adverse – ou ce qu’il en restait – de la Baie du Faucon, les hommes de l’empire avaient laissé les dépouilles gonflées d’eau de l’ennemi flotter à la dérive.

Ce n’était qu’une ignominie parmi d’autres. Sur leur passage, les hommes de l’empire avaient mis le feu à une grande partie de la cité avant de prendre le chemin de la Lande. Les soldats qui étaient restés, une garnison d’à peu près six cents hommes, s’étaient installés dans les quelques maisons et bâtiments épargnés par les flammes. Ils patrouillaient en ville, imposaient aux habitants un couvre-feu martial, fermaient les tavernes, confisquaient bière et nourriture pour leur usage personnel, et s’emparaient des marchandises des rares colporteurs assez fous pour entrer à Galdasten. Un certain nombre d’entre eux montaient une garde serrée au pied du château. Mais cette surveillance même était superflue. Car Renald, duc de Galdasten, n’avait pas davantage l’intention de défier leur autorité sur sa ville, qu’il n’avait tenté de poursuivre le gros de l’armée, parti depuis longtemps vers le sud.

Pillad jal Krenaar, son Premier ministre, était certain que les habitants de la ville, comme ceux qui avaient trouvé refuge dans l’enceinte du château, maudissaient le nom de leur duc, traître à son peuple, à son roi et à son royaume. Le ministre les comprenait. À leur place, il en aurait fait autant. Il était tout aussi convaincu que Renald avait honte de sa propre complaisance face à l’ennemi. Son duc quittait rarement ses appartements, et ne parlait qu’avec la duchesse, son capitaine et lui, son fidèle ministre. Car Pillad, à son plus grand soulagement, était enfin parvenu à retrouver la confiance du chef des Eandi de Galdasten.

Longtemps, le ministre était allé noyer sa disgrâce, son amertume et son impuissance dans la bière d’un tavernier qirsi de la ville. Lorsqu’il l’avait trahi, pour retrouver les faveurs de son duc, il ignorait que son geste ne serait que le début d’un calvaire qu’il avait redouté de voir s’achever sur sa propre exécution. S’il avait imaginé les avantages qu’il finirait par tirer de ses accusations contre Mittifar jal Stek, le tenancier, il les aurait lancées beaucoup plus tôt, pensait-il depuis. Mais ce jour-là, au cours du cycle lunaire d’Elined, poussé par la colère, piqué au vif par l’humiliation que lui avait infligée le tavernier en refusant de lui servir la bière de Thorald qu’il réclamait, il n’avait pas réfléchi une seconde. Il en avait assez d’être ignoré, autant par les Qirsi que par les Eandi, et d’être considéré comme un personnage insignifiant. Sacrifier Mittifar, membre lui aussi de la conspiration, lui avait semblé le meilleur moyen de se venger, et de retrouver son influence à la cour de Renald.

Après l’avoir dénoncé, il s’était félicité de voir les gardes quitter le château pour arrêter cet homme. Mais lorsqu’ils étaient revenus les mains vides, expliquant au duc que le tavernier était mort, Pillad avait senti son univers vaciller, comme si Elined, pour le punir de son outrecuidance, avait abattu son poing vengeur sur la colline rocailleuse de Galdasten pour le perdre. La duchesse l’avait accusé d’être un menteur et un traître, et d’avoir organisé le meurtre du tavernier dans le seul but de regagner la confiance de son duc tout en masquant sa propre félonie. Elle avait même été jusqu’à soutenir qu’il avait lui-même brisé la nuque de Mittifar, malgré les protestations de Renald et de son capitaine. Ewan Traylee avait souligné que le tavernier était bien trop costaud pour Pillad, et le duc avait assuré sa femme que son ministre ne possédait pas le don de Façonnage, mais rien n’y avait fait et Pillad, trop secoué par la pertinence des accusations de la duchesse, avait été incapable de se défendre.

Plus perturbant encore que les allégations d’Elspeth, le meurtre de Mittifar lui-même l’avait plongé dans une angoisse terrible. Parfaitement conscient que la conspiration en était responsable, il signifiait que ses agents savaient tout de ses agissements avant l’arrivée des gardes de Renald dans la taverne, probablement même avant leur départ du château. Pillad, au comble du désarroi, en avait donc conclu qu’il y avait d’autres traîtres à Galdasten, et que l’un d’entre eux au moins résidait à la cour de Renald.

Sans preuve pour l’accuser, la duchesse n’était pas parvenue à le faire jeter au cachot. C’était la raison pour laquelle il se trouvait chez lui, endormi sur son lit, lorsque le Tisserand avait fait irruption dans ses rêves deux nuits plus tard, ivre de colère et de rage. Le ministre, qui n’avait jamais enduré un tel supplice, en était venu à espérer la mort plutôt que de subir plus longtemps cette épreuve. Le chef de la conspiration, causant de profondes et douloureuses meurtrissures dans sa chair, l’avait d’abord brûlé sur la poitrine et le dos. Il avait ensuite rompu ses côtes une à une, avant de les ressouder et de les briser de nouveau. Et, durant tout ce temps, il n’avait cessé de l’abreuver d’injures aussi violentes que ses tortures. Pillad, aveuglé de souffrance, n’avait retenu aucune des paroles prononcées par le Tisserand cette nuit-là. La seule chose dont il se souvenait était que le sorcier, conscient de ses motivations, attendait qu’il retrouve la confiance de son duc.

Un seul détail avait percé l’épais brouillard de souffrance qui l’avait englouti cette nuit-là. Il s’était aperçu que toutes les blessures que lui infligeait le Tisserand se limitaient à des parties de son corps invisibles aux yeux des Eandi. Malgré sa fureur, le Tisserand reconnaissait donc que Pillad avait une certaine utilité au sein du mouvement. Grâce à son geste, il espérait que Renald se tourne de nouveau vers lui, tienne compte de ses conseils, et partage avec son ministre les décisions se rapportant à l’invasion de Braedon. C’était pour cette raison – et cette raison seule, avait compris Pillad – que le Tisserand ne l’avait pas tué, qu’il avait même guéri toutes ses plaies avant de le quitter. Il comptait de nouveau. Livré à la fureur du Tisserand, cette prise de conscience l’avait soutenu, lui avait donné une force qu’il ignorait posséder, et lui avait permis d’endurer l’insupportable.

La méfiance du duc ne s’était pas effacée en un jour, et celle d’Elspeth demeurait vivace. Mais depuis quelque temps, le ministre était de nouveau considéré à la cour. Sa réhabilitation n’avait donné lieu à aucune cérémonie ; Renald ne lui avait, par exemple, présenté aucune excuse ; il n’était même pas invité à se joindre aux discussions quotidiennes entre le duc et son capitaine. Toutefois, quelques jours plus tôt, presqu’un cycle lunaire après la mort du tavernier, alors que Pillad était encore convoqué dans le bureau de Renald pour répondre à une nouvelle salve de questions concernant Mittifar et ce que Pillad avait vu lors de ses visites à la Vague Blanche, cette auberge où il avait passé le plus clair de son temps à ruminer sa mise à l’écart, le capitaine était arrivé pour discuter des affaires militaires. Contrairement à son habitude, Renald ne lui avait pas demandé de les laisser seuls, et Pillad avait assisté à leur échange. Son exil était terminé.

La même nuit, le Tisserand était revenu lui rendre visite. L’ascension de la colline au sommet de laquelle l’attendait le sorcier lui avait paru plus rude que la première fois, mais en dehors de ce détail, Pillad n’avait pas eu à souffrir. Le Tisserand lui avait demandé si Renald lui avait renouvelé sa confiance. Une question de pure forme, à laquelle le ministre avait humblement répondu, avant de se voir interrogé sur les intentions militaires de son duc. Le Tisserand lui avait ensuite annoncé qu’il se révélerait bientôt à toutes les Terres du Devant.

« Je veux que Galdasten soit en guerre à ce moment-là, l’avait-il prévenu. Je veux que Renald et son armée aient rejoint la Lande, et qu’ils se battent contre l’empire. Peux-tu le convaincre de partir en guerre ?

— Oui, Tisserand, avait affirmé le ministre avec conviction. Renald désire se battre. Voir sa ville occupée par Braedon et mesurer chaque jour quel danger menace le royaume aiguise sa conscience et ses remords. Son capitaine lui-même bout d’impatience. Il me soutiendra.

— Parfait. Ta mission est donc simple.

— Je n’irais pas jusque-là. Tisserand. La duchesse va s’y opposer.

— La duchesse ? » s’était étonné le sorcier, sincèrement surpris.

« Elle jouit d’une grande influence à la cour et auprès de son mari. Si elle n’est pas convaincue, Renald pourrait résister.

— Alors charge-toi de le faire changer d’avis. »

Pillad s’était bien gardé d’argumenter. S’il décevait le Tisserand, leur dernière rencontre serait une partie de plaisir à côté du châtiment qu’il subirait.

« Bien sûr, Tisserand, s’était-il empressé de répondre.

— Tu possèdes le don de guérison et celui du feu. Ces dons nous seront utiles quand notre guerre va débuter. Je tisserai ton feu avec celui de cent autres Qirsi. Des armées entières de soldats eandi vont tomber devant toi. »

Bien que Pillad ne se fût jamais considéré comme un guerrier, cette perspective l’avait enchanté.

« Ma magie vous appartient, Tisserand. »

Le lendemain matin, le huitième jour du cycle d’Adriel, le ministre s’était dirigé vers le bureau de son duc, pressé d’en finir avec sa mission. Lorsqu’il était entré, il avait eu la mauvaise surprise de trouver la duchesse avec son mari et le capitaine.

« Que fait-il ici ? » s’était écrié Elspeth en le lorgnant d’un œil mauvais.

Renald avait flanché, avant de se ressaisir et de répondre d’un ton relativement posé : « Je l’ai convoqué. »

La duchesse s’était contenue et, un fin sourire sur ses adorables lèvres, s’était tournée vers son mari.

« Je ne suis pas sûre que cela soit une décision bien sage, monseigneur. Nous ignorons encore si nous pouvons lui faire confiance.

— Je pense que si. »

Pillad n’avait jamais entendu le duc s’adresser à sa femme sur ce ton. Cette fermeté nouvelle allait sans doute jouer en sa faveur. Il avait toutefois jugé plus prudent d’attendre le départ de la duchesse pour aborder la question de la guerre. La résistance de Renald avait en effet ses limites. Trop sollicitée, elle pouvait vite s’effondrer, et le duc retomber dans sa soumission coutumière. Par certains aspects, s’était dit le ministre, le caractère de son duc n’était pas si différent du sien.

Pillad s’était donc assis près de la porte, loin de la duchesse, et avait écouté en silence leur discussion démarrer puis s’embourber. Ewan avait évoqué sa frustration et celle de ses hommes, leur désir de repousser l’envahisseur, et la souffrance du peuple de Galdasten, soumis à l’autorité de l’empire.

Renald, le front barré d’un pli soucieux, avait plusieurs fois hoché la tête au cours de cet exposé, mais il s’était montré presque aussi discret que son ministre. La duchesse, en revanche, sans demander la moindre autorisation pour s’exprimer, était intervenue dans le débat avec autorité, et avait répondu seule aux exhortations du capitaine.

« Le sujet dépasse largement l’honneur de vos guerriers, capitaine, avait-elle tranché d’une voix pincée. J’aurais cru que vous l’auriez compris. Dites-moi, Renald, depuis combien de temps aucun Galdasten ne s’est assis sur le Trône de Chêne ? »

Elle n’avait même pas regardé son mari, mais le duc avait vacillé, et son visage rougeaud avait brusquement pâli.

« Près d’un siècle.

— Voyez-vous cela ! Et depuis plus de trois cent cinquante ans personne ne conteste la suprématie de Thorald dans les Règles de l’Ascension. Si nous voulons changer le cours de l’histoire, la précipitation n’est pas le meilleur moyen d’y parvenir.

— Vous oubliez le peuple, madame. »

L’indignation d’Ewan avait été palpable.

« Ses souffrances sont regrettables, avait-elle répondu sans le moindre signe de contrition pour ses sujets. Mais de tels changements ont un prix. »

Cette affirmation avait mis un terme à leur conversation. Le duc avait encore posé quelques questions à son capitaine sur les réserves du château et l’état des hommes s’ils devaient se battre. Le capitaine lui avait répondu, mais il s’était vite levé pour partir, de toute évidence excédé par le comportement de la duchesse.

Pillad l’avait imité, dans l’espoir de le rattraper pour voir avec lui comment ils pouvaient soutenir leur duc, mais la duchesse l’avait arrêté.

« Restez un moment, voulez-vous, Premier ministre ? »

Il s’était tourné. Elspeth l’observait comme une araignée guettant sa nouvelle proie engluée dans sa toile.

« Avec plaisir, madame. »

Alors qu’Ewan se retirait, elle s’était mis à arpenter la pièce.

« Vous n’êtes pas de mon avis, avait-elle commencé.

— Non, madame.

— Pourquoi ?

— Parce que je crois que la conspiration est responsable du meurtre de Lady Brienne, et je crains que le duc ne se trompe d’adversaire en s’opposant au roi. Je crains pour le royaume, madame, et à vrai dire, pour toutes les Terres du Devant. »

Ne s’attendant sans doute pas à une mise en accusation aussi précise de la conspiration, elle l’avait considéré avec suspicion.

« Insinueriez-vous que le complot qirsi serait derrière l’invasion ?

— Je n’en ai aucune preuve, mais je le suppose, en effet. Pendant plus d’un cycle lunaire, le tavernier m’a accueilli presque chaque jour dans son établissement, or il a attendu l’apparition des navires de Braedon dans la baie du Faucon pour me parler de la conspiration, et tenter de me soudoyer. »

Content de son raisonnement, il avait haussé les épaules pour en souligner l’évidence.

« Ce n’est pas une preuve, mais un fait qui donne à réfléchir.

— Je vois », avait-elle acquiescé sans cesser d’arpenter la pièce, plongée dans ses pensées. « Bien, ce sera tout, avait-elle conclu quelques instants plus tard avec un regard songeur. Vous pouvez disposer, Premier ministre. »

Pillad s’était tourné vers le duc pour chercher son approbation. Renald avait vaguement hoché la tête. Toutefois, l’ombre d’un sourire reconnaissant s’était dessiné sur ses lèvres et, après une courte révérence, Pillad était parti, particulièrement satisfait de son intervention.

Au cours des jours suivants, Pillad avait rencontré son duc à plusieurs reprises, mais toujours en présence d’Elspeth. De cette assiduité, Pillad avait déduit qu’elle redoutait de voir son mari céder. Leurs discussions, évitant soigneusement les combats qui se déroulaient sur la Lande, étaient restées superficielles. Pillad savait que le duc recevait des nouvelles quotidiennes du front, mais il n’en avait jamais parlé.

Le trentième jour du cycle d’Elined, la situation évolua enfin. Lorsqu’il se présenta devant son duc, Pillad constata avec plaisir que la duchesse était absente. Dans le couloir, il avait perçu la voix d’Ewan. La porte close l’empêchait de comprendre ses propos et, à cause des gardes, il n’avait pas osé tendre l’oreille, mais lorsqu’il était entré pour les découvrir seuls, il avait aussitôt saisi le sens de leur conversation.

« Entrez, Premier ministre, l’accueillit Renald en lui désignant un fauteuil libre non loin d’eux.

— J’espère ne pas vous interrompre, monseigneur.

— Pas du tout. Le capitaine ne faisait que répéter ce qu’il me dit depuis des jours : il est grand temps selon lui de rejoindre les combats. »

Il n’aurait même pas besoin de lancer le sujet… Les dieux étaient avec lui.

« Vous connaissez ma position, monseigneur.

— Oui. Toutefois, les propos de la duchesse ne vous ont-ils pas troublé l’autre jour ?

— Je suis sûr que vous feriez un excellent monarque, monseigneur, commença-t-il prudemment. D’ailleurs la situation sur la Lande est peut-être assez désespérée pour que votre arrivée vous pose en sauveur du royaume, auquel cas vous seriez en mesure de revendiquer la couronne, et de l’obtenir. Mais si vous attendez trop longtemps, poussé par l’espoir d’asseoir votre légitimité, il pourrait bien de ne plus y avoir de royaume à gouverner.

— Exactement ! s’exclama Ewan en bondissant presque hors de son siège.

— Nous avons toujours su que l’équilibre ne serait pas facile à trouver, observa le duc. Els… la duchesse veut simplement s’assurer de notre succès.

— Si je puis me permettre, monseigneur, intervint Pillad, de telles considérations devraient passer aujourd’hui au second plan. Votre peuple souffre. Vos ennemis foulent impunément les rues de la cité de vos ancêtres. Votre premier souci devrait être la riposte. Si du même coup vous obtenez la couronne, tant mieux. Mais l’heure est venue d’agir en monarque. »

Il avait à peine achevé sa phrase qu’il redoutait d’être allé trop loin. Renald se passa une main lasse dans ses cheveux flamboyants et soupira.

« Vous avez naturellement raison, mais la duchesse… »

La porte s’ouvrit au même instant.

« Vous parlez de moi ? »

Elle se tenait sur le seuil, dans une robe assortie à la chevelure de son mari. Son regard glissa sur les trois hommes avant de se fixer sur Renald. Elle pénétra alors dans la pièce et ferma la porte derrière elle.

« Eh bien, que disiez-vous, Renald ? »

Le duc se leva. Pillad voyait ses mains trembler, mais il se tenait droit.

« Je disais que vous vouliez attendre avant d’envoyer notre armée rejoindre les combats. J’allais ajouter qu’il est inutile d’attendre : j’ai décidé de frapper l’empire dès l’aube.

— J’en étais sûre, déclara-t-elle du ton supérieur et victorieux dont elle était coutumière. Je savais que vous saisiriez la moindre occasion de le détourner de nos objectifs », ajouta-t-elle avec un regard étincelant et accusateur pour Pillad.

Ewan se leva à son tour.

« Il se trouve, madame, que c’est moi qui ai lancé le sujet. Le Premier ministre n’est intervenu que par la suite pour confirmer ce que je demande depuis longtemps.

— Alors vous êtes aussi stupides l’un que l’autre ! Et mon mari, qui vous écoute, l’est encore plus que vous.

— Silence, Elspeth. »

Elle rougit comme s’il l’avait giflée, puis un sourire, uniquement destiné à masquer sa rage et son humiliation, étira ses lèvres.

« Très bien, Renald. Si tu souhaites renforcer le trône de Glyndwr, et détruire tous nos espoirs de mettre un terme aux absurdes Règles de l’Ascension, libre à toi. Je n’ai plus rien à faire ici, ni avec toi. »

Le duc lui adressa une courte révérence.

« Parfait. Et en passant devant les gardes, dis-leur de ne pas nous déranger. Nous sommes en conseil de guerre. »

Elle les considéra avec autant de mépris que de fureur et, les mâchoires serrées, pivota sur ses talons, ouvrit la porte avec violence et sortit comme un ouragan sans un mot pour les sentinelles.

Les trois hommes restèrent un moment silencieux et figés. Pillad et Ewan, qui se demandaient si le duc allait s’élancer à la poursuite de sa femme, patientèrent. Mais Renald se contenta de gagner la porte et de la fermer tranquillement avant de se tourner vers eux. Il semblait secoué, mais soulagé.

« Nous avons du travail, reprit-il. Je veux libérer ma cité de l’envahisseur, mais je ne veux pas y passer des jours, et nos pertes doivent être minimes. Des suggestions ? »

Ewan, un large sourire aux lèvres, arborait l’air victorieux d’un combattant.

« Oui, monseigneur. Cela fait un moment que je peaufine ma stratégie. »

Pillad n’en doutait pas une seconde.

 

Avoir défié la duchesse lui coûterait très cher, Renald n’en doutait pas. On ne contredisait pas Elspeth, Lady de Prindyr, duchesse de Galdasten, comme il venait de le faire sans subir les foudres de son courroux. D’abord, songea-t-il, elle ne lui adresserait plus un mot. Ensuite, il aurait droit à des sarcasmes, des piques lancées en présence de ses soldats, ses conseillers, ses nobles. La tendresse qu’elle lui avait témoignée ces jours derniers disparaîtrait. Son lit lui serait refusé pour un temps, ou pour longtemps. Elle irait peut-être même jusqu’à monter ses fils contre lui, accusant la lâcheté et la bêtise de leur père de leur coûter toutes leurs chances de s’asseoir jamais sur le Trône de Chêne. Elspeth avait toujours été une femme orgueilleuse, et il venait de la frapper dans son amour-propre, lui infligeant un affront qu’elle serait longue à pardonner, qu’elle n’oublierait même jamais.

Pourtant le duc s’en moquait. Le destin du royaume était en jeu, et la gravité de la situation exigeait qu’il regarde les choses en face. Il ne pouvait accuser sa femme d’être responsable de l’humiliation subie par le peuple de Galdasten ou des torts causés au royaume. Seul lui et la pusillanimité dont il faisait preuve devant sa femme en étaient responsables. Il était duc, chef de cette maison et de ses armées. Si la duchesse était à l’origine de la neutralité contestable de Galdasten et des conséquences désastreuses qui découlaient d’une telle indifférence, il avait décidé seul, en tant que duc, et de sa propre autorité, de ne pas s’opposer à l’invasion de Braedon. Certes, se reprit-il, elle avait su flatter ses ambitions personnelles, jouer avec adresse de la peur qu’elle savait lui inspirer, mais il avait accepté de se laisser manipuler. Il s’était comporté en lâche et ne pouvait s’en prendre qu’à lui-même. C’était fini, se dit-il. Car, malgré la honte que son comportement lui inspirait, il était résolu à y mettre un terme. Il était peut-être trop tard pour réagir, mais sa soumission avait des bornes. Il se découvrait enfin la force de se comporter en homme digne de son rang et d’endosser toutes ses responsabilités, aussi bien à ses propres yeux qu’à ceux de Kearney lorsque viendrait le jour de s’expliquer devant lui.

Et il en éprouvait du plaisir. Le simple fait de discuter, dans son bureau, avec Ewan et Pillad, de tactique militaire ravivait son honneur, et sa fierté d’être à la tête d’une maison aussi puissante que la sienne. Bien sûr, il redoutait la mort, et il rallierait le champ de bataille aussi terrorisé que ses plus jeunes recrues. Mais cette peur même lui apportait un certain réconfort. Car le plus effrayé des combattants était moins lâche que l’homme qui regardait sans broncher la mise à sac, à feu et à sang de son propre royaume. Renald endurerait donc le mépris d’Elspeth. S’il le fallait, il expliquerait à ses fils que l’ambition personnelle et le devoir n’étaient pas toujours compatibles, que l’honneur comptait plus que le pouvoir, et qu’il fallait apprendre à distinguer les deux. Il ne voulait pas la couronne, en tout cas pas de cette façon. Et pour le reste, songea-t-il avec dépit, il se tournerait de nouveau vers les servantes et les dames complaisantes de la cour.

Dès le début de leur conversation, il fut clair que le capitaine réfléchissait depuis des jours au moyen de chasser les hommes de Braedon de la cité de Galdasten. Ewan était convaincu que, sous la couverture des archers de Galdasten, plusieurs détachements pouvaient quitter le château par les poternes et fondre sur les garnisons de l’empire stationnées au pied des murs. Une fois l’ennemi écrasé – le capitaine ne doutait pas d’une victoire rapide –, Renald pourrait envoyer le gros de son armée en ville et repousser l’envahisseur vers ses navires.

Ewan était même certain que l’immobilité du duc jusqu’à présent jouerait en leur faveur.

« Leur vigilance est relâchée, monseigneur. Ils sont convaincus que vous ne tenterez plus rien.

— Les générations futures loueront l’intelligence de notre stratégie », railla le duc qui, pas plus que les autres, n’était dupe de l’ironie.

« Sans aucun doute, monseigneur, offrit aimablement Pillad.

— Préparez vos soldats, capitaine.

— Monseigneur, je vous suggère d’attendre l’aube. Si nous tentons une percée en plein jour, les hommes de Braedon verront les soldats arriver.

— Le crépuscule, alors, avança le duc impatient. La nuit tombante nous sera aussi favorable.

— Oui, monseigneur, le crépuscule conviendra pour l’assaut initial, mais si nous attendons l’aube…

— Je ne veux plus attendre, le coupa Renald. Nous frapperons ce soir. Préparez vos hommes, capitaine. »

Ewan se renfrogna, mais se leva.

« Bien, monseigneur. Je lance les préparatifs immédiatement.

— Parfait. Tenez-moi informé. »

Ewan inclina le buste et quitta la pièce à vive allure, laissant le duc en compagnie de son Premier ministre. Jugeant la méfiance d’Elspeth à l’égard du sorcier comme une autre de ses ruses pour l’empêcher d’agir, Renald avait fini par se convaincre de la loyauté de Pillad. Parce que le ministre prônait la guerre et que sa femme poursuivait exactement le but inverse, ses accusations de traîtrise lui étaient apparues comme son ultime recours pour le détourner de l’action. Malgré cette certitude, le duc avait du mal à se défaire du malaise qu’il éprouvait en présence de son Qirsi. Il essaya de se convaincre qu’il en avait toujours été ainsi ; les cheveux-blancs, avec leurs pouvoirs insondables et leur comportement déroutant étaient des créatures étranges. Quel Eandi pouvait affirmer se sentir tout à fait à l’aise avec eux ? Aucun. Son incertitude demeurait pourtant palpable. Et il avait beau s’efforcer de mettre ses doutes à l’écart, ou sur le compte de la race des sorciers, il ne pouvait s’empêcher de se poser des questions.

« Je devrais peut-être vous laisser, monseigneur », suggéra l’homme.

Renald, frappé par cet à-propos, sursauta. Pillad lisait-il dans ses pensées ? La magie qirsi allait-elle aussi loin ?

« Comme vous voulez. Premier ministre, répondit-il au comble de la perplexité. Nous avons beaucoup à faire.

— En effet, monseigneur, approuva le sorcier en quittant son siège.

— D’autres Qirsi du château possèdent-ils le don des brumes et du vent ?

— Je n’en suis pas sûr, monseigneur. J’en doute. C’est une des magies les plus puissantes et les moins répandues.

— Ah, bien. Ce n’était qu’une question. J’imagine que vous vous posterez avec les Guérisseurs.

— Comme vous voudrez, monseigneur. Mais j’espérais rester près de vous. Vous pourriez avoir besoin de mes conseils lorsque les combats débuteront.

— Oui, bien sûr. Mais il se peut que je me joigne à mes hommes au moment de reprendre la ville.

— Même dans ce cas, monseigneur, je serais heureux de me battre à vos côtés, affirma-t-il avec un sourire détendu et en apparences sincère. Je ne suis pas aussi adroit que d’autres à l’épée, mais je sais me tenir à cheval, et je peux être utile au cœur de la bataille. »

Renald se força à lui rendre son sourire.

« Je suis certain que vous serez à la hauteur, Premier ministre. Lorsque j’aurais pris ma décision, je vous la ferai savoir, ainsi que ce que j’attends de vous. »

Il vit le regard pâle de son ministre se rétrécir légèrement et son sourire se faner.

« Naturellement, monseigneur. Je comprends. »

Le duc aurait dû le laisser partir, mettre un terme à cette conversation embarrassante avant que l’un d’entre eux ne profère une bêtise, mais alors que le ministre s’éloignait vers la porte, il ne put s’empêcher de réagir.

« Que croyez-vous comprendre exactement, Pillad ? »

Le ministre s’arrêta.

« Pardonnez-moi, monseigneur, lâcha le Qirsi dans un soupir sans toutefois se retourner. J’aurais dû me taire.

— Mais vous ne l’avez pas fait. »

À ces mots, Pillad se retourna.

« En effet, reconnut-il, je ne l’ai pas fait. Je sens que vous ne me faites pas entièrement confiance, et je me demande si votre hésitation à me voir combattre à vos côtés n’est pas dictée par la peur de me voir m’en prendre à vous.

— La conspiration nous plonge tous dans le plus grand désarroi, Premier ministre. La mort du tavernier n’a fait qu’accroître nos craintes. J’ai beaucoup de mal à croire qu’il ait été le seul traître de Galdasten. Ce qui signifie qu’il y a d’autres Qirsi en ville, peut-être même au château, qui me souhaitent du mal.

— J’en suis également convaincu, monseigneur. Mais à mes yeux, ce risque ne fait que renforcer la valeur de ceux d’entre nous sur lesquels vous savez pouvoir vous reposer.

— Peut-être, mais cela ne rend aussi que plus ardue la difficulté de distinguer les Qirsi loyaux des traîtres. Vous le comprenez certainement.

— Oui, monseigneur. Et je vous servirai selon vos désirs. Si vous souhaitez me voir rester auprès des Guérisseurs, j’obéirai. J’attends votre décision. »

Sur ces mots, il s’inclina et quitta la pièce.

Renald, plongé dans la plus grande perplexité, ne savait plus que penser. S’il envisagea d’abord de poursuivre le ministre pour lui demander de se battre à ses côtés, il se retint, hanté par un doute qu’il savait sans réponse. Ce revirement pouvait précisément être celui qu’attendait Pillad. Ses réflexions, son comportement n’avaient peut-être d’autre but que celui de pousser le duc à agir en ce sens. Et ce qui effrayait le plus Renald, c’était de s’apercevoir que jusqu’alors il s’était toujours reposé sur Elspeth pour résoudre ces questions.

 

Les cloches du prieuré retentirent sur la ville. Les archers de Renald, dissimulés aux regards de l’ennemi derrière les murs du château, se tenaient prêts. Dès le coucher du soleil, Ewan les enverrait par les tours à l’assaut des remparts. Rassemblés dans la cour, leur carquois plein de flèches, certains vérifiaient pour la dixième fois la tension de leur arc. Ils évoquaient au duc de jeunes chevaliers en lice pour leur premier tournoi. Leur zèle disait leur hâte à chasser l’envahisseur qui tenait leur cité depuis trop longtemps. Et au son des rires qui s’échappaient des rangs, plus nombreux durant ces quelques heures précédant la bataille qu’au cours du dernier cycle de lune, Renald sentit ses espoirs se ranimer. Tout à coup, il lui semblait que la libération du joug impérial, la victoire, et surtout la fin du marasme où il avait plongé Galdasten, étaient vraiment à leur portée.

Réconforté par l’enthousiasme de ses troupes, Renald leva les yeux vers les fenêtres surplombant la cour haute. Croyant discerner la silhouette d’Elspeth, il se raidit, mais un second regard le détrompa. Il se demandait s’il n’avait pas imaginé son visage dans la pénombre quand Ewan le tira de ses réflexions.

Le ciel s’assombrissait, et le capitaine ordonnait aux archers de monter sur les remparts et de prendre position le plus silencieusement possible. Alors que les hommes se déplaçaient, le bruit de leur pas étouffé par l’herbe de la cour, il se tourna vers les unités chargées de donner l’assaut à l’extérieur. Ceux-là devraient attendre, à l’abri des poternes, que retentissent les cloches de la tour du cloître, signal de l’attaque. Tenant leur épée contre leur jambe pour qu’elle ne tinte pas, ces soldats s’éloignèrent à leur tour en trottant.

Une fois les hommes en place, Renald et son capitaine s’engouffrèrent dans l’escalier le plus proche pour rejoindre la tourelle d’où ils suivraient le déroulement des combats sans gêner les archers.

La nuit étendait maintenant son épais velours noir au-dessus du château. Seul l’occident brillait encore. Les nuages fins qui flottaient sur la forêt éteignaient les derniers rayons du soleil dans une douce lueur rose orangé, mais ils diffusaient une lumière suffisante. Et Renald, depuis son poste d’observation, distinguait les soldats stationnés au pied de ses murs. Adossés à des catapultes qui n’avaient pas beaucoup servi, disséminés en petits groupes, ils tuaient le temps dans une ambiance détendue. Depuis le début, se dit le duc, les soldats de Braedon se comportaient comme s’ils avaient su que Galdasten ne leur offrirait aucune résistance. Ils avaient installé leurs machines de guerre devant les portes mais, convaincus que cette menace suffirait à elle seule à tuer dans l’œuf toute velléité de riposte, ils n’avaient depuis rien fait de plus.

Et leur tactique avait marché.

« Donnez l’ordre, capitaine. Les hommes de l’empereur se croient depuis trop longtemps en terrain conquis.

— Avec plaisir, monseigneur », répondit Ewan avec un sourire.

Et sans même se retourner, le capitaine détacha une torche de son anneau accroché sur le mur et brandit la lumière au-dessus de lui, avant de l’abattre d’un geste brusque. La flamme n’avait pas fini de ronfler aux oreilles de Renald que deux cents archers se précipitaient sur les créneaux, leurs arcs déjà bandés. Aussitôt, dans un vrombissement aussi terrible que le grondement sourd et furieux de quelque monstre surgi du Royaume du Dessous, les flèches s’élancèrent. Des cris s’élevèrent au pied des murs, cris de stupeur et de colère, auxquels Ewan répliqua, un sourire féroce aux lèvres, par un second mouvement du bras qui déclencha aussitôt une nouvelle volée de flèches meurtrières.

Dès la première alerte, l’agitation s’était répandue dans les rues de la cité, portant la nouvelle de l’attaque jusqu’au port. Ewan se tourna vers la tour du cloître et agita sa torche de droite à gauche. Un instant plus tard, les cloches se mettaient à sonner, provoquant non plus l’agitation, mais l’hésitation des soldats postés autour du château. Déjà, parmi les clameurs des assaillants, Renald entendait les épées s’entrechoquer.

Il voyait des ombres, toujours plus nombreuses, se masser au pied des remparts, mais l’obscurité grandissante l’empêchait de savoir qui avait le dessus. Son inquiétude fut cependant de courte durée, car déjà des hommes refluaient dans les ruelles et les chemins qui menaient aux quais. L’envahisseur fuyait ! Ses hommes poussèrent un hourra victorieux, aussitôt repris par ses archers.

« Bravo, capitaine ! s’exclama Renald en assenant une tape enthousiaste sur l’épaule d’Ewan. »

Ce geste inhabituel lui attira un regard curieux, presque de reproche, de son capitaine.

« Ce n’est qu’un petit succès, monseigneur. Les hommes de Braedon ont reculé trop vite. Ils ne font que rejoindre le reste de leurs troupes en ville. Ils ne sont pas encore vaincus. Loin de là.

— Je le sais, répliqua le duc avec un sourire de nature à masquer le trouble dans lequel l’avait jeté la sobriété de son capitaine. Tout de même, ça fait plaisir à voir. C’est un bon début.

— En effet, monseigneur, répondit Ewan en se penchant au-dessus des murs pour observer la retraite de l’ennemi. Mais nous devons faire vite, poursuivit-il en se redressant. Nous pouvons attendre l’aube pour attaquer leurs garnisons en ville, ou bien leur donner la chasse maintenant. Nous avons le choix, monseigneur, mais il faut décider tout de suite.

— Je… »

Renald, brusquement décontenancé, le dévisagea un instant.

« Que feriez-vous ?

— Eh bien, nous pouvons pousser notre avantage, et profiter de la surprise pour les empêcher de s’organiser. Ou bien attendre. Car ils sont bien implantés en ville. À la faveur de la nuit, ils pourront se cacher plus facilement. Mais si nous attaquons, nos hommes pourraient tomber dans une embuscade. »

Le duc, comprenant que l’ordre d’attaque avait été donné beaucoup trop tôt, sentit son visage s’empourprer. S’il avait attendu l’aube, comme le lui conseillait son capitaine, cette question ne se serait pas posée.

« Nos hommes connaissent parfaitement la ville, capitaine, répondit-il malgré son inquiétude. Les soldats de Braedon y ont peut-être établis leurs quartiers, mais nos hommes y sont nés et ils y vivent depuis l’enfance. Ils en connaissent les moindres recoins. Je crois que nous pouvons poursuivre les combats sans trop les exposer.

— Très bien, monseigneur », approuva l’homme.

Il aurait aimé une approbation plus franche de son capitaine, qu’il le conforte dans sa décision. Mais il n’osait lui montrer ni son incertitude, ni son manque d’aptitude à mener sa propre armée au combat. Et en même temps que cette réflexion, l’évidence le frappa avec une telle brutalité qu’il faillit chanceler. C’était lui qui allait mener la charge ! Comment pourrait-il s’y soustraire ? Il allait courir après son capitaine, lui dire qu’il avait changé d’avis, qu’il valait mieux attendre l’aube, lorsqu’une autre réflexion, tout aussi terrifiante, l’arrêta. S’ils attendaient, les capitaines de Braedon auraient toute la nuit pour préparer leur combat. Voulait-il réellement affronter une armée en ordre de bataille ? Complètement perdu, invoquant Ean à son secours, il s’appuya, désemparé, contre le rempart.

« Est-ce que tout va bien, monseigneur ? »

Renald se tourna si vite qu’il faillit perdre l’équilibre. Pillad se tenait devant lui, une lueur prédatrice – il l’aurait juré – au fond des yeux.

« Parfaitement, répliqua le duc bien trop vite à son goût.

— Vous êtes pâle, monseigneur.

— Je vais très bien, affirma le duc aussi perturbé qu’excédé par la présence et le calme de son ministre. Nous attaquons les garnisons de Braedon dans une heure. Restez avec les Guérisseurs. Ils doivent être débordés par les premiers blessés. Rejoignez-les tout de suite.

— Mais…

— Vous chevaucherez à mes côtés lorsque nous partirons pour la Lande. Pour l’heure, occupez-vous des blessés avec les Guérisseurs. Suis-je clair ?

— Tout à fait clair, monseigneur », s’inclina le Qirsi sans trahir la moindre émotion.

Il sembla vouloir ajouter quelque chose, mais se ravisa, et se tourna vers la tour sans un mot.

Renald regarda sa silhouette de son ministre s’effacer dans les escaliers. Il avait l’intention de le suivre, mais préférait laisser Pillad arriver au bas des marches avant de s’y engager. Ignorant les regards des archers qu’il sentait peser sur lui, il se tourna résolument vers la ville. Lorsque enfin il quitta les remparts, il accueillit l’obscurité des escaliers avec soulagement. Au premier étage, il hésita, pris par l’envie de se précipiter dans son bureau pour y demeurer jusqu’à la fin des combats, mais il poursuivit son chemin et déboucha dans la cour. Le spectacle qui l’y attendait, hélas, acheva de ruiner ce qui lui restait de tranquillité.

Tous les blessés avaient été rassemblés là. Entassés sur des civières, ils attendaient que les Guérisseurs qirsi, qui s’affairaient déjà autour des cas les plus graves, s’occupent de leurs blessures. Pillad, au milieu des cris et des gémissements, l’air légèrement perdu et choqué, se tenait avec ses congénères.

Le duc traversa la cour à vive allure. S’il pouvait garder les yeux sur le sol, et éviter le spectacle des plaies béantes et des visages tordus de souffrance, il ne pouvait ignorer les plaintes de ses hommes, ni l’odeur fétide des potions et autres cataplasmes que les herboristes apportaient dans un incessant va-et-vient. Arrivé enfin dans la cour basse, il s’adossa au mur d’enceinte et tâcha de reprendre son souffle. Non loin, les habitants de la ville qui avaient trouvé refuge au château le regardaient avec curiosité et, lui sembla-t-il, une certaine dose de mépris. Il s’efforça de les ignorer mais, n’y parvenant pas, il se résigna à rejoindre la grande porte où Ewan, rassemblant ses soldats, hurlait ses ordres et envoyait ses lieutenants dans toutes les directions. Lorsqu’il le vit, Ewan se précipita à sa rencontre, sans cesser d’aboyer ses instructions à droite et à gauche. Devant son duc, il baissa la voix pour lui demander :

« Est-ce que tout va bien, monseigneur ? »

Renald songea un instant à lui dire qu’il était revenu sur sa décision, et qu’il devait reporter leur assaut aux premières lueurs de l’aube, mais il n’était pas plus convaincu de la sagesse d’attendre que de celle de poursuivre, aussi lui renvoya-t-il sa question.

« J’allais vous poser la même question, capitaine.

— Pardon ?

— Sur les remparts, j’ai eu l’impression que vous préfériez attendre l’aube. Si vous êtes sûr de vous, je suis prêt à suivre vos conseils. »

Ewan tourna le dos aux soldats avant de lui répondre.

« Je vous en prie, monseigneur, faites comme moi, souffla-t-il. Je ne veux pas que les hommes nous entendent. »

Renald, frappé par le ridicule de leur position, épaule contre épaule, face au mur, fit néanmoins ce qu’on lui demandait.

« Si vous nourrissez vous-même le moindre doute, monseigneur, alors nous ne devons pas attaquer. Les hommes sentiront votre hésitation, et leur confiance en souffrira. »

Évidemment qu’il avait des doutes ! aurait-il voulu s’exclamer, au comble de l’énervement. Il n’était sûr de rien. Mais cet aveu était impossible, aussi Renald se ressaisit-il.

« Je veux seulement savoir si vous désapprouvez ma décision.

— Je ne peux pas me permettre de critiquer vos choix.

— Eh bien je vous l’ordonne ! s’exclama le duc avant de regretter immédiatement sa réaction et le ton de sa propre voix. Pardonnez-moi, Ewan, se reprit-il. Je ne… Je n’ai pas beaucoup d’expérience en la matière.

— Comme nous tous, monseigneur. Mais nous avons commencé à placer les hommes. Changer de tactique maintenant, c’est semer le doute dans leur esprit. Je préférerais l’éviter.

— Nous attaquons donc cette nuit.

— Je crois que c’est le mieux.

— Très bien.

— Autre chose, monseigneur ?

— Les archers sont restés sur les remparts, ne devraient-ils pas nous suivre ?

— Je pensais les laisser sur les créneaux, monseigneur. Je leur fais porter de l’huile et du goudron. Au cas où les hommes de l’empire réussiraient à encercler le château, je veux qu’ils soient prêts. En cas d’attaque, je leur ai donné l’ordre d’enflammer leurs flèches. Cela nous alertera, et nous pourrons revenir, prendre l’adversaire à revers et défendre la forteresse. »

Renald contempla son capitaine sans chercher à dissimuler son admiration.

« Très impressionnant, capitaine, fit-il en secouant la tête. Vraiment très impressionnant.

— Merci, monseigneur. Maintenant, si vous le permettez, je vais retourner auprès des hommes pour lancer l’attaque dans moins d’une heure. »

Fidèle à sa parole, Ewan avait préparé ses hommes. Et, moins d’une demi-heure plus tard, ils étaient prêts à quitter le château dès que retentiraient les cloches du sanctuaire d’Amon, celles qui, sans la mainmise de Braedon sur la ville, marquaient d’ordinaire la fermeture des portes. Renald et son capitaine, à cheval, avaient pris la tête de la colonne. Le duc leva son épée. Les hommes, aussitôt, se turent.

« Vous attendez cette nuit depuis longtemps, commença-t-il d’une voix qui résonna sur les murs d’enceinte. Croyez-le ou non, moi aussi. Nous allons nous battre pour libérer notre peuple, notre cité et notre royaume. Les hommes de Braedon vont apprendre ce qu’il en coûte de réveiller l’Aigle de Galdasten ! Qu’ils goûtent la morsure de notre épée et maudissent le jour où ils ont mis le pied sur notre terre sacrée ! Qu’ils réintègrent leurs navires en rampant, et quittent nos côtes à jamais ! »

Sur quoi il cabra son cheval.

« Pour Galdasten ! hurla-t-il en brandissant de nouveau son épée.

— Pour Galdasten ! » lui répondirent ses hommes à l’unisson.

Alors que leur clameur, reprise par le peuple, ébranlait le château, Renald sentit un frisson lui parcourir l’échine. Il songea un instant à Elspeth. Il aurait aimé qu’elle le voie, en armes, sur son cheval, guidant ses fiers soldats au combat. Mais cette pensée laissa aussitôt la place, alors qu’ils franchissaient la porte du château pour descendre vers la ville, à la peur paralysante qu’il avait éprouvée un peu plus tôt sur les remparts.

« Bien parlé, monseigneur », lui souffla Ewan.

Renald, incapable de proférer le moindre son, se contenta d’acquiescer.

« Restez près de moi, monseigneur. Ensemble nous vaincrons l’ennemi. Je ferai tout pour vous protéger. »

À cette promesse, Renald tourna vers son capitaine un regard plein de reconnaissance.

« Merci, Ewan. »

Ils chevauchèrent en silence, veillant à respecter le pas des soldats qui marchaient derrière eux. Après avoir dépassé une forge entièrement brûlée et une taverne à la tranquillité inquiétante, ils ne furent pas longs, au grand regret de Renald, à atteindre le cœur de la cité. Un chien errant, la truffe collée au sol, traversa la place du marché silencieuse, noire et déserte. L’ennemi demeurait invisible.

Ewan, qui avait affiché jusque-là le plus grand calme, montrait une tension croissante. Le front plissé, il finit par hocher lentement la tête.

« Je n’aime pas ça », souffla-t-il.

Alors que Renald se demandait si le ton de sa voix, contenu et bas, était destiné à masquer son inquiétude aux soldats de Galdasten ou bien à ceux de l’empire, il l’entendit préciser :

« On aurait dû les voir depuis longtemps.

— Vous vous êtes toujours étonné du petit nombre de soldats qu’ils avaient laissés en ville, avança le duc. Peut-être que, face à nos forces, ils auront préféré battre en retraite et rejoindre leurs navires.

— C’est possible », répondit le capitaine.

Mais son manque de conviction était évident, car il continuait d’observer les environs avec anxiété, comme s’il s’attendait à voir surgir l’ennemi d’un instant à l’autre.

Et cet instant survint. Sans le moindre avertissement, une flèche se ficha dans l’épaule d’Ewan, lui arrachant un hoquet de douleur, alors qu’une seconde, aussi rapide, se plantait dans la cuisse de Renald. Avant même que le duc puisse réagir, un déluge de flèches s’abattait sur eux en sifflant, aussi agressif et dense qu’un essaim de frelons qu’ils auraient dérangé.

« Boucliers ! » hurla le capitaine, les dents serrées et le visage en sueur. « Aux abris ! »

Les hommes rompirent les rangs pour s’éparpiller dans toutes les directions. Alors que les flèches continuaient de pleuvoir, les premiers coups d’épée se firent entendre. L’ennemi, comprit le duc aussitôt, n’attendait que cette dispersion pour attaquer. Mais il était trop tard. La mêlée, déjà, fondait sur lui. Où qu’il portât les yeux, les hommes se battaient et tombaient. Voyant le rouge et or des soldats de Braedon se resserrer autour de lui, il força son cheval à volter et, l’épée brandie, assenant de violents coups dans toutes les directions, il lutta pour les maintenir à distance. À ses côtés, Ewan se battait avec la même ardeur, mais la première flèche, qui l’avait atteint à l’épaule droite, le privait de son meilleur bras.

Une flèche frappa son bouclier, d’autres sifflaient autour de lui. Chaque fois, toujours plus conscient du danger, le duc se recroquevillait un peu plus. Sur son cheval, il offrait une cible parfaite pour les archers de Braedon. Il se serait volontiers jeté à terre, mais il redoutait encore plus le chaos de métal qui faisait rage au ras du sol. Alors, les jambes désespérément serrées sur les flancs de sa monture, il continua à se battre malgré la douleur lancinante qui lui mordait la cuisse, la souffrance qui lui engourdissait le dos et les reins. Les muscles de son bras le brûlaient, mais son épée, comme animée d’une énergie propre, ne cessait de fendre l’air, tranchant dans sa course tout ennemi qui se dressait sur son passage. Le temps n’était plus marqué que par les va-et-vient déchaînés de son arme. Il ne pensait plus au royaume, au trône, ni aux rebelles qirsi. Il ne songeait qu’à sa survie, la plus immédiate, remise en cause à chaque seconde. Parviendrait-il à tuer cet homme en rouge et or qui s’efforçait de le désarçonner ? Survivrait-il à cette nouvelle volée de flèches ? Le prochain élancement de douleur dans sa cuisse le jetterait-il à terre ?

Il avait cru conduire l’armée de Galdasten au combat. Il se découvrait ballotté, privé de réflexion, livré à la fureur des armes, uniquement dominé par son désir de vivre et la nécessité de combattre. Dans ce tumulte, il ne pouvait donner aucun ordre, suivre aucun plan. Tout autour de lui, les hommes se battaient, certains mouraient. C’était eux, comprenait-il vaguement, leur force et leur acharnement, qui décideraient du sort de la bataille. Eux qui, dans ces corps à corps, ces embuscades, seconde après seconde, écriraient l’histoire de Galdasten. Au-delà de la douleur, malgré la fureur de l’attaque, au cœur même de cette aberration qu’on qualifiait de guerre, Renald comprenait qu’il en avait toujours été ainsi, que ses ancêtres, qui s’enorgueillissaient de la gloire des combats, n’avaient rien fait d’autre que se battre pour leur survie. La victoire, avant d’être celle de leur maison sur une autre, de leur royaume sur un autre, était d’abord celle qu’ils avaient arrachée à la mort. Cette prise de conscience apaisa ses angoisses. Elle ne changeait rien au sort de la bataille, mais elle lui inspirait une certaine dose d’humilité et, lui donnant l’énergie de poursuivre, rendit sa lutte plus supportable.

Après ce qui lui parut une éternité, le duc s’aperçut que l’ennemi était moins nombreux, que son cheval avait plus d’espace pour faire volte-face, et que les clameurs métalliques comme les cris des mourants avaient perdu de leur violence.

Ewan se tenait toujours à ses côtés, le visage inondé de sueur, extrêmement pâle, et les lèvres bleuies. La première flèche était toujours fichée dans son épaule et une autre, dans les côtes, avait provoqué une traînée de sang qui maculait sa cotte de mailles. Ses yeux gris affichaient un regard creux, presque vide, mais il continuait de faire tournoyer son cheval, à la recherche de l’ennemi.

« Capitaine ! »

L’homme se tourna dans sa direction.

« Ewan », lança encore le duc, voyant que le capitaine ne le reconnaissait pas.

L’homme cligna les yeux et le dévisagea.

« Monseigneur, prononça-t-il d’une voix lourde d’épuisement et chancelant sur son cheval.

— Vous avez besoin d’un Guérisseur.

— Non, monseigneur, tout va bien.

— C’est terminé. Je ne sais pas qui a gagné, mais il semble que les combats cessent. »

Ewan examina la rue. Il dut tirer réconfort de ce qu’il voyait, car il se redressa sur sa selle et, tandis qu’un peu de couleur lui revenait aux joues, il opina.

— Nous avons gagné.

— Comment le savez-vous ?

— Nous sommes en vie tous les deux, répondit le capitaine en se retournant vers le duc. Si notre armée avait été vaincue, nous serions morts. »

Renald s’aperçut que les flèches avaient cessé de pleuvoir, et que les soldats, tous vêtus des couleurs bronze et noir de Galdasten, commençaient à converger vers eux. Un lieutenant se présenta devant eux. Il portait une profonde entaille au bras et plusieurs autres, moins graves, sur le visage, les mains et le cou.

Ewan, étouffant le cri de souffrance que lui arrachait son geste, rengaina son épée.

« Au rapport, fit-il en serrant les dents.

— La plupart des soldats ennemis ont été tués, monsieur. Les survivants filent vers leurs navires. Quelques hommes les poursuivent. Les combats continuent sur les quais.

— Nos pertes ?

— Je ne sais pas exactement. Quelques centaines, je pense, mais moins de la moitié de nos effectifs.

— Très bien, lieutenant. Rendez-vous sur les quais. Dites aux hommes d’abandonner les fuyards à leur sort. Nous avons gagné. Je ne veux pas perdre davantage d’hommes. Ensuite, vous irez voir un Guérisseur.

— À vos ordres, monsieur, fit le soldat avant de s’incliner devant son duc. Pour Galdasten, monseigneur.

— Merci, lieutenant, répondit Renald.

— Vous aussi vous avez besoin d’un Guérisseur, reprit le capitaine alors que le soldat s’éloignait au trot vers le port.

— Pas plus que vous, rétorqua le duc.

— Alors, allons-y ensemble.

— Excellente idée, capitaine. Pillad officiera pour nous deux. »

Ewan fit une nouvelle grimace que Renald mit un certain temps à interpréter comme un sourire.

« À vos ordres, monseigneur. »

Avisant un soldat à peu près indemne, ils l’envoyèrent au château chercher les Guérisseurs.

« Si le lieutenant a raison, reprit le duc après son départ, et que nous avons perdu plusieurs centaines de soldats, combien de temps nous faudra-t-il pour reconstituer une armée suffisante pour rejoindre la Lande ?

— Tout dépend du nombre d’hommes que vous voulez engager, monseigneur. Si sept ou huit cents vous suffisent, nous devrions pouvoir partir dans trois jours. Peut-être deux, si le quartier-maître est rapide.

— Alors mettons-nous au travail », conclut Renald avec résolution.

La flèche de Braedon, toujours fichée dans sa cuisse, le lançait. Tandis qu’il contemplait la plaie et son haut-de-chausses imbibé de sang, il fut stupéfait d’envisager si vite, et avec autant de détachement, son prochain combat. Mais avait-il le choix ? Qu’il le veuille ou non, se disait-il, pour le meilleur ou pour le pire, cette nuit avait fait de lui un guerrier.

La Couronne des 7 Royaumes [9] L'Alliance Sacrée
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